Deuxième Partie

Muma : Une sculpture sociale est ...
Rue des fours by FEHLSTELLE
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Astrid : Pour allumer une ville, il te faut des bénévoles, qui sont en général les habitants du quartier, les adhérents d'associations et cætera. D'un côté, je dirais que c'est quelque part une assurance contre la destruction de l'installation. Quand les riverains  participent,  ils font attention, parce que l'œuvre devient aussi leur œuvre. D'un autre côté, l'intégration des riverains est quand même quelque chose en plus, tu parles d'une sculpture sociale.
Qu'est-ce que le terme signifie pour toi ?

Muma :
Une sculpture sociale est une œuvre d'art participative dans laquelle le « matériau » le plus important est le lien social. C'est à partir de cet échafaudage du lien social que prend sens le feu, la bougie. Le feu à été depuis toujours (400 000 ans) une technologie qui a besoin du collectif et en même temps qui l'oblige à se structurer pour se maintenir. ?a a donné naissance à des groupes plus grands et plus organisés que les simples groupes de chasseurs-cueilleurs. Travailler avec le feu dans un territoire, c'est, d'une certaine façon, réveiller l'âme atavique de ce territoire, redéfinir le lien que nous avons avec celui-ci.

Astrid : Comment définirais-tu « l'espace public » ?
Muma : Moi, je préfère parler d'espace civique, c'est-à-dire celui qui permet l'activité civique de s'accomplir (symbolique, associative, politique, commercial, et cætera).

Astrid : Le terme de la sculpture sociale vient de l'artiste allemand Joseph Beuys.
Y a-t-il une différence entre son emploi du terme et le tien ?

Muma :
Oui et non. Les temps ont changé, à l'époque de Joseph Beuys tout était beaucoup plus politique (en pleine guerre froide, entre autres). Nous avons vécu la prétendue fin des idéologies, le règne de la pensée unique puis l'hécatombe du système néo-libéral. Ma vision de la sculpture sociale est par conséquent moins conceptuelle, moins « art contemporain », et aussi moins régénératrice de l'Humanité tout entière. Je suis plus modeste et dans mes ambitions et dans mes propos. Je suis un homme de terrain et j'ai trouvé dans cet outil une façon d'agir efficace (me semble-t-il). Je suis donc plutôt un pragmatique et « ma » sculpture sociale va dans cette direction. Joseph Beuys, en plus, a été un grand artiste, un penseur, un agitateur, et a réalisé une œuvre immense ; essayer de se comparer à lui me semblerait hors propos.
Place du marché 2004
Astrid : Quelque part, les citoyens prennent le pouvoir de la rue, même si c'est seulement pour une soirée. A Vallauris cette « occupation » de l'espace public n'a duré qu'un soir, comme dans les autres villes. Mais l'effet dure beaucoup plus longtemps. D'un côté les gens se souviennent toujours très bien de la performance, d'un autre côté il y a des riverains qui ont parlé pour la première fois avec leurs voisins à l'occasion de « Allumons-Vallauris » et ils se parlent toujours. Il y a des amitiés qui se sont créées cette soirée.
Sais-tu s'il y a le même effet dans les autres villes ?
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Muma : Oui, je crois savoir que dans pas mal d'endroits le feu du rêve continue à couver sous les cendres du quotidien, si l'on me permet cette métaphore. Maintenant, attention ! Les gens continuent à penser qu'il faut un « vendeur de rêves » extérieur pour que le miracle se fasse (de transformer le territoire) quand en réalité ça ne tient qu'à eux de produire ce genre de transformation onirique du territoire. Les gens, à mon avis, se déresponsabilisent trop vite de ce symbolisme collectif de leur propre territoire et préfèrent le déléguer, ce qui pour moi est un peu triste.

Astrid : L'effet d'initiation de la convivialité dans le long terme, c'est pour toi aussi l'élargissement de l'espace social ?

Muma : Oui, bien sûr !
Cordue 2009
Y a-t-il une différence dans la réception de l'œuvre selon le pays, la ville, le quartier ?

Muma : Bien sûr! (indépendamment du nord ou sud) Probablement la taille de la ville est beaucoup plus déterminante puisque la métropolis déshumanise beaucoup plus les rapports entre les gens. Des villes de taille moyenne telles que Girona, Lausanne ou Córdoba fonctionnent très bien. Les villes petites et les villages aussi, si l'on prend le temps nécessaire pour les apprivoiser. Les grandes villes comme Barcelone ou Paris c'est un autre paire de manches parce que les enjeux sont beaucoup plus importants (coordination des volontaires, relation avec les autorités, budget et cætera). Pour les grandes villes il faut être très costaud pour tenir le coup (stress et pression diverses). Cela dit la rue a des valeurs différentes dans de contextes divers, mais à nouveau plus il y a de densité plus il y a des concurrents pour occuper l'espace publique.
Astrid : Tu as fais tes installations d'abord en Catalogne, après en Suisse et entre temps dans le Midi de la France. La culture urbaine Européenne est née en Grèce par la « Polis ». La conception urbaine, avec une vie collective dans les rues et les places publiques (tout d'abord le forum) s'est propagée en Europe par les Romains. Même aujourd'hui j'ai l'impression que les gens dans la zone méditerranéenne sont plus souvent dehors dans la rue, se rencontrent plus souvent dans l'espace public que dans les pays du nord.
Pont illuminé Gerone 2003
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Comment as-tu eu l'idée d'une telle installation ?

Muma : Un ensemble de facteurs m'ont amené à  essayer de créer artistiquement une métaphore de la ville entière qui tienne tête au discours lénifiant des autorités face a un certain nombre de problèmes graves qui se posaient a la société civile espagnole (la catastrophe écologique du Prestige, l'implication de l'armée espagnole en Irak, la diabolisation de la culture catalane de la part du Parti Populaire). J'ai eu l'idée de représenter tous et chacun des habitants de la ville par une bougie (78 000 habitants). Avec toutes ces bougies, il s'agissait métaphoriquement de prendre possession de la rue. Un ministre franquiste de l'Intérieur avait dit « la rue est à moi » ; il s'agissait de prouver à ce partit néo-franquiste (le Parti Populaire) que la rue était aux citoyens. Nous croyions pouvoir rêver une société différente. Nous avons allumé un rêve. Ça a été un acte important.

Astrid : Aujourd'hui, six ans et dix installations plus tard : Qu'est-ce qui a changé pour toi?
Astrid : La première performance se déroulait en 2003 à Girona (Gérone).
Barcelone 2009
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Nous avions besoin de plus de mille volontaires et de leur apprendre à dessiner des dessins qui évoquaient la vague qui étaient relativement complexes (par exemple des paraboloïdes enchaînées). Ça a été un bonheur que d'y arriver.
Maintenant quelques mois plus tard je réalise la débauche d'énergie dépensée et j'ai un peu de peine à me projeter dans le futur. J'ai un certain nombre de propositions, de petits projets aussi bien en France, qu'en Suisse et probablement en Espagne aussi pour l'été prochain. Nous sommes en négociation et je n'ai pas encore des dates précises ni des confirmations mais l'intérêt existe ce qui est fantastique. Et à côté de ça je prépare un projet de peinture assez impertinent qui me donne pas mal de fil à retordre.
Mais pour répondre à la question, pas mal de choses ont changé. J'ai acquis une certaine maturité, particulièrement dans la gestion des volontaires. Je suis plus clair dans les directives. Je fais aussi des projets plus aboutis dans le sens conceptuel. Mais cela n'empêche qu'à chaque projet, il faut commencer depuis le début, parce qu'il s'agit des gens nouveaux, des lieux nouveaux et que il serait fou de ma part de vouloir re-éditer un projet. Tout simplement ce serait un échec programmé.

Astrid: Merci beaucoup pour l'entretien et beaucoup d'energie pour continuer!
Muma : Je viens de sortir d'un projet très épuisant (Encenguem la mar / Allumons la mer 26/04/2009) à Barcelone, qui est - de loin - le plus beau projet que j'ai fait, mais aussi le plus difficile, ardu et complexe que j'ai jamais réalisé. C'était un projet sans commande que j'ai eu l'inconscience de vouloir mener à terme à la façon de Christo. Je l'ai proposé à la Mairie qui l'a reçu sans grand enthousiasme et j'ai dû travailler énormément pour le monter avec une équipe de bénévoles de première qualité. Il s'agissait d'investir le quartier des gens de la mer autour de Santa Maria del Mar et de mettre en évidence à travers le projet des institutions telles que le Consulat de la Mer mais aussi comprendre la mer comme source de métissage, d'échange de commerce, d'un enrichissement mutuel tant culturel qu'économique.
Photos:

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© Stephan Goseberg

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© Muma

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© FEHLSTELLE

4 © J. Bétant
©  2009 ARTIFICIALIS

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Performances de lumière

2003

Enceguem Girona!, Gérone (Girona, E)
http://www.muma-art.com/encenguem-girona.html

2004

Allumons Assens! (CH)
http://www.muma-art.com/enceguem-assens.html
Allumons Vallauris! (FR)
http://www.muma-art.com/enceguem-vallauris.html

2006
Allumons Lausanne! (CH)
http://www.allumonslausanne.ch/

2007
Allumons le Lac Bleu! (CH)
http://www.muma-art.com/allumons-le-lac-bleu.html
Allumons Vallauris! (F)
http://www.allumonsvallauris.fr/
Lueurs de l'arbre et de la fontaine,
Théâtre de l'Octogone, Pully (CH)

http://www.muma-art.com/lueurs-pully.html

2008
Le Jardin des lumières, Musée National Suisse,
Château de Prangins (CH)

http://www.lejardindeslumieres.ch/

2009
Encenguem la mar (Allumons la mer)
Barcelone (Barcelona, E)

http://www.muma-art.com/enceguem-la-mar.html
Caminos de fuego (Chemin de feu)
Cordoue (Córdoba, E)

http://www.muma-art.com/caminos-de-fuego.html



Catalogues

CHALARD Samuel, Muma Allume Lausanne DVD
La Chaux de Fonds, 2006

GOLAY Laurent, EIDENBENZ Céline, PANESE Francesco,
Comment allumer une ville (Muma) Lausanne: Art & Fiction, 2006

Voie-ages/Via-tges catalogue d'exposition Girona (E) Assens (CH) Barcelona:
ed. Mediterrània, 2004 avec textes de EUGENE et Joan-Francesco AINAUD



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