Article de l'auteur invité Emannuel Mir

Thyra Schmidt à DI.VITRINE (Düsseldorf, Allemagne)
        Le cachet est à peine lisible. C'est une carte postale adressée à Thyra Schmidt, née Saskia Thyra Früchtenicht. Elle a été oblitérée le 23 septembre 1992 au bureau de poste de Westerland (Sylt). Côté face l'image représente une plage pittoresque de la « belle île de la Mer du Nord Sylt ». Au premier plan, une plate-bande, exemplaire ; au centre, une maison au toît de chaume, si majestueuse et si typique; à l'arrière-plan, le ciel mouvementé de la Mer du Nord. La carte postale est anonyme. C'est une carte d'amour.
Carte postale de l'ile de Sylt
        La carte postale d'un amoureux qui n'ose pas s'adresser directement à la femme de ses rêves, à la rencontrer personnellement. En lettres serrées, la timidité fragile et la vénération tremblante d'un inconnu trouvent, lignes après lignes, un espace d'expression minimal. Une modeste carte postale - donc quelque chose qui ressemblerait à une lettre ouverte - cherchant à créer un premier contact, fiévreux et hésitant. Comme un poème, comme un appel à voix basse. Un espoir - une bouteille à la mer. C'est émouvant. C'est beau. C'est touchant. C'est un peu kitsch.
Carte postale texte
        C'est public. C'est grand. C'est fortement illuminé et sous verre. Ça hurle. C'est exposé dans un passage qui mène aux quais de la station de RER de Bilk (quartier de Düsseldorf). Ça a été agrandi de manière à ce que chaque passant puisse aisément lire le message anonyme. Chacun peut ainsi participer à cette histoire d'amour frémissante. Chacun peut ainsi pénétrer dans le cœur et dans l'âme du timide expéditeur de la carte. Chacun est ainsi transformé en un voyeur potentiel. Comme dans les actions et installations de Sophie Calle, chaque M. Nobody est invité dans la sphère intime de l'artiste et peut s'approprier sa romance.
S-Bahnhof Bilk
        Mais contrairement à Sophie Calle qui se complaît à mélanger les niveaux de l'intime et du privé avec des éléments fictifs, nous n'avons pas à faire ici à un faux. Thyra Schmidt a réellement reçu cette carte postale. A l'époque elle avait à peine 17 ans et vivait en Allemagne du Nord. Et après celle-ci, elle reçu encore quelques autres cartes postales, puis des lettres dans le même ton, tout aussi passionnées et tout aussi anonymes. Puis un jour l'amoureux se découvrit - et, celui qui veut précisément le savoir pourra apprendre qu'il y eut finalement une liaison amoureuse entre Schmidt, née Früchtenicht, et l'auteur de la carte postale.

        Presque vingt ans plus tard, cette histoire si personnelle est jetée sans pudeur à la foule. C'est sans pudeur, parce que au contraire des histoires d'amour massmédiales qui sont devenues l'opium moderne des lecteurs de revues comme Paris Match, VSD et Brigitte - on ne retrouve pas de traces de glamour dans la carte postale. Ce n'est pas non plus une histoire sale, faite de révélations scabreuses qui assouviraient l'envie malsaine des masses de pénétrer la prétendue transparence people. Au contraire; ici c'est le romantisme fleur bleue, c'est la fragilité et l'intimité, c'est l'authentique et le non-aliéné qui est déballé en pleine Agora.
Bilk RER
        Pour cette exposition, le couple d'artistes Dagmar Keller et Martin Wittwer s'est transformé en commissaire bicéphale et a invité Thyra Schmidt dans la station de RER de Bilk.  En opérant ce choix, Keller et Witwer ont trouvé une position idéale  pour  occuper ce lieu de passage fortement fréquenté. Les deux grandes vitrines, qui sont administrées par le service culturel de la ville, sont plus ou moins perçues tous les jours par des milliers de banlieusards. La lumière ici est soit trop crue, soit insuffisante, les matériaux de l'équipement sales et sans qualités, l'espace uniquement fonctionnel. À l'exception de quelques clochards et de personnages louches qui trainent entre la buvette et le photomaton, tous les corps sont en mouvement permanent et les regards s'évitent. C'est l'espace publique dans ce qu'il a de plus cruel. La douce déclaration d'amour accrochée au mur est de la confiture que l'on aurait donné aux cochons. C'est le geste résolu d'une artiste qui a fait de l'intimité une res publica. Car si l'artiste se trouve dans un processus permanent d'exhibitionnisme, le striptease amoureux de Schmidt représente une décision qui, malgré son caractère radical légèrement dérangeant, n'est que conséquente.
di.vitrine
dans la station de RER de Bilk (S-Bahnhof Bilk, Düsseldorf)
Vernissage 19 mai 2011
Exposition du 20 mai au 2 septembre 2011
ouverture 24/24
Traduction de l'Allemand : Astrid Gallinat et Emmanuel Mir

Cet article était publié au premier en Allemand sur le Blog du Künstlerprojekt und Off-Space le 23 mai 2011.

Merci beaucoup à Emmanuel Mir pour l'autorisation de la publication et la traduction.

Merci beaucoup à Thyra Schmidt pour les photos.

Photos :

© Thyra Schmidt


© 2011 ARTIFICIALIS / Emmanuel Mir
Née en 1974 à Pinneberg (Allemagne) Thyra Schmidt a fait ses études des beaux-arts (peinture et photographie) à l'institut universitaire d'Hanovre chez Peter Tuma (1996 2000). Après un séjour à la Hiroshima City University, Faculty of Art, Japon (1999/2000) et des études à l'école supérieure des arts plastiques de Brunswick chez Dörte Eißfeldt (2000-01), ensuite elle s'oriente vers l'Académie des Beaux Arts de Düsseldorf dans la classe de Thomas Ruff (jusqu'au 2005). Pendant ce temps elle crée avec d'autres étudiants de Ruff le groupe des artistes FEHLSTELLE (2003), qui réalise depuis différents projets dans l'espace public. A côté des expositions individuelles et de groupe dans des galeries et des institutions, elle montre également ses œuvres individuelles dans l'espace public, p. ex. en 2005 avec la Collection de la Photographie/SK Fondation Culture à Cologne et en 2009 avec le Goethe-Institut à Oslo (Norvège). Thyra Schmidt vit et travaille à Düsseldorf.