Dans le cadre de la réhabilitation du quartier de Carros-le-Neuf (nord-ouest de Nice), la mairie de la ville a confié la mission de la transformation du passage du bâtiment « Blés d'Or » à l'artiste carrossois Dominique Landucci. Conformément aux directives de la mairie et dans l'esprit de l'artiste c'était un projet en coopération avec les habitants du bâtiment. Pendant plusieurs mois l'artiste s'est rendu dans le quartier, afin de rencontrer les riverains et les impliquer. Le résultat en est quatre panneaux céramiques avec des récits des habitants et leurs portraits. De plus il y a  « les gardiens de la mémoire », silhouette d'un personnage, symbole de la mémoire et de la parole, chargé de renforcer et développer le sentiment d'appartenance. Lors de l'inauguration de l'œuvre le 26 mai 2009, en même temps que la Fête de Voisins il m'a accordé un entretien. En septembre 2009 il m'a raconté l'histoire du projet.
Dominique Landucci
Dominique Landucci : "L'artiste doit sortir de son atelier"
Dominique Landucci

Né en 1955 à Nice de parents immigrés italiens, il installe son atelier en Vendée en 1975, après des études d'art et d'architecture à Luminy (Marseille). En 1985 il retourne dans son village d'enfance Carros, où il vit et travaille toujours. Dominique Landucci est un multi-talent : il peint, il écrit, il danse, il conte, il anime etc. Entretemps il court le monde : Paris, Allemagne, Suisse, Italie, New York, Vendée (toujours) et récemment il a exposé en Inde et en Arménie.
La liste de ses réalisations publiques et de ses expositions est aussi exhaustive que ses activités pluridisciplinaires. Trouvez-la sur le site :

http://www.landucci-dominique.com/


Dominique Landucci en chantant pendant l'inaugauration 1
Carros

Carros est une ville d'environ 11.000 habitants dans l'arrière-pays niçois. Partagé entre le village historique (avec les écarts 9% de la population totale) et les Plans de Carros, une zone industrielle (17% de la population) et la ville nouvelle (74% de la population) qui se décompose elle-même en deux zones : la zone A , au nord, regroupant le parc H.L.M. (près de 900 logements sociaux) et la zone B , au sud, avec le parc de logements d'aides (3000 habitants). Le bâtiment « Blés d'Or » est situé dans la zone A, construit dans les années 1970. Lié à l'essor démographique important dans la région, dû à la fois à la natalité et l'installation d'une population issue de l'immigration et de l'exode rurale, ce nouveau quartier, d'à peine 40 ans, bénéficie d'une grande mixité culturelle.
Portraits
En 1985 de nombreuses peintures murales extérieures avaient été réalisées par Walter Labra, un habitant du quartier artiste peintre, sur certaines façades des immeubles. Et moi même en 1987 j'avais peint une fresque de 40m² sur la façade  de l'ancienne bibliothèque Victor Hugo en plein centre ville toujours visible à l'heure actuelle. L'art public a donc une histoire à Carros. Cette commune a d'autre part une activité culturelle riche. Le Forum Jacques Prévert, centre culturel,  organise toute l'année des expositions en ses locaux et un festival de théâtre de rue. Le centre international d'Art Contemporain au Château de Carros, accueille 10000 visiteurs par an. La médiathèque Andret Verdet organise toute l'année des animations interactives mêlant le conte et les arts plastiques. L'association culturelle OSCARR des artistes de la commune organise toute l'année expositions et ateliers d'arts plastiques. Cette volonté s'est redoublée depuis 1995 sous l'impulsion du nouveau maire Antoine Damiani. Christine Charles son adjointe à la culture en début de mandat aujourd'hui première adjointe en charge de l'urbanisme entre autre avait depuis longtemps envie de faire « l'entrée des artistes ». Son projet était de confier l'aménagement des entrées d'immeuble à un artiste. Ce projet a été long à se mettre en place.
Céramicité
Le projet de la « Céramicité »

Le processus de la requalification des quartiers de Carros a débuté en 1995 afin de redonner une certaine fierté aux habitants qui les occupent. En parallèle du réaménagement technique comme la réfection des cages d'escalier, des parlophones, des façades etc. la mairie a pensé qu'il fallait compléter cette entreprise d'une note poétique. L'opération intitulée « Céramicité » prévoit une transformation de plusieurs lieux avec la maîtrise d'œuvres d'artistes locaux. L'important dans cette intervention artistique dans l'espace public est l'implication des habitants des quartiers dans l'embellissement de leur cadre de vie.

L'opération a débuté avec le bâtiment « Les Blés d'Or ». Dominique Landucci a rencontré les habitants du bâtiment et s'est laissé inspiré par les expériences sur place. Le résultat:  quatre panneaux céramiques (environ 1,80 m x 1,20 m) avec des récitations et des portraits des habitants. Mais la participation ne s'est pas arrêté avec les réponses aux questions et la prise en photo des riverains. L'artiste a fait partie de la vie quotidienne du quartier. L'image d'un décédé prématurément a été intégré à l'œuvre au dernier moment. A plusieurs reprises des délégations de Carros sont allés à Vallauris pour rencontrer le céramiste réalisateur Renaud Lembo et suivre le processus de production. L'inauguration n'était pas un vernissage dit « traditionnel », mais la Fête des Voisins.
Astrid : Pourquoi as-tu été choisi comme artiste ?

Dominique :
Depuis de nombreuses années j'interviens en tant que plasticien avec la population dans les quartiers dits difficiles. C'est ainsi que j'ai été amené à travailler dans les banlieues sud de Strasbourg dans le quartier de l'Elsau pendant deux ans et pendant trois ans dans le quartier des Terraillons à Bron en banlieue nord de Lyon. Ces différents projets ont fait participer les habitants par le relais de toutes les associations culturelles et sociales. C'est à ce titre que dès la prise de son mandat de première adjointe, Christine Charles m'a demandé de proposer un projet artistique  pour l'aménagement de l'immeuble des Blés d'Or rue des Arbousiers en plein centre ville, et d'être le premier à lancer cette opération qui allait vite prendre le nom de Céramicité pour ne pas dire Célamixité.
Célamixité
Carros : Passage « Blés d'Or » (detail)1
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Astrid : Pourquoi la mairie de Carros a décidé d'impliquer les habitants dans les œuvres d'art, au lieu d'une simple commande auprès d'artistes ?

Dominique :
Les commandes artistiques en général et dans ces quartiers en particulier supportent très mal les greffes et les rejets sont nombreux. Les pouvoirs publics ont semble-t-il compris que les parachutages sont dangereux et qu'il est préférable de travailler en amont avec les habitants de manière à les y impliquer de façon qu'ils s'approprient l'œuvre.
Blés d'Or Panneau 3
Carros : Passage « Blés d'Or » (detail)1
Astrid : Et pour toi personnellement, comment trouves-tu l'implication du récepteur de l'œuvre dans le processus de la création ?

Dominique :
En tant qu'artiste j'ai toujours eu une démarche de pédagogie et de partage de mon œuvre. L'artiste doit sortir de son atelier pour que son art prenne l'air et soit au service du plus grand nombre loin des quelques initiés et happy few qui fréquentent les musées, galeries et autres institutions culturelles qui bien souvent n'ont pas le souci d'être lisible au grand public.
Astrid : Comment s'est déroulé l'implication des habitants dans le projet des Blés d'Or ?
Dominique : Pour initier ce projet, dans le cadre du programme de réhabilitation, la municipalité m'a demandé d'intervenir sur ce bâtiment où il y avait un passage au rez-de-chaussée qui traversait le bâtiment et qui était devenu un lieu insalubre. Au départ j'ai pris contact avec les habitants et les associations les représentant. Très vite un débat s'est instauré pour savoir s'il fallait laisser ce passage ouvert et le réhabiliter et le requalifier par une intervention artistique ou bien le fermer aux deux extrémités pour en faire un local de réunion, un garage voie un commerce. Après les avoir convaincus que ce passage était la respiration du quartier je lançai le projet de concevoir avec eux  la  réfection de ce lieu. A ce stade je n'avais aucune idée préalable mettant mis dans les conditions que les idées viennent d'eux. J'ai organisé de nombreuses réunions informelles dans leur quartier dans un local prêté par « l'office des HLM » ou à mon atelier. Très vite je constituai un noyau dur de 5 personnes qui devinrent mes ambassadeurs auprès des habitants. Ils me firent vite comprendre qu'il serait hors de question pour eux d'intervenir sur l'œuvre et qu'ils me faisaient entière confiance pour la réalisation. Par contre ces réunions devinrent un moment de paroles où chacun parlait de son quartier et de son histoire avec un engouement certain.  Cette cité nouvelle à peine trentenaire avait déjà une histoire que ces »pionniers » venus des quatre coins de la France me faisaient revivre chacun avec ses anecdotes. En même temps que je notais toutes ces bribes de ressentis je prenais des photos et faisais quelques portraits des participants. Je trouvais remarquable la façon qu'avait chacun de se sentir bien dans ce quartier, de l'avoir vu évoluer et ne pas vouloir le quitter, alors l'embellir les flattait beaucoup.
Blés d'Or Panneau 1
Blés d'Or Panneau 2
Carros : Passage « Blés d'Or » (details)1
Astrid : As-tu eu des directives de la mairie pour la réalisation ? Ont-ils défini le matériel ?

Dominique :
La municipalité m'avait donné carte blanche quant au contenu du projet. Par contre je leur avais soumis un devis de céramique. J'avais choisi la céramique pour la pérennité et l'entretien de l'œuvre ouvert au public et aux quatre vents.
Astrid : Par qui et comment le projet a-t-il été soutenu ?

Dominique : Ce projet a été piloté par la municipalité et financé dans le cadre de « la politique de la ville » par l'Etat, le Conseil Général, le Conseil Régional. Côte d'Azur Habitat, le bailleur a donné son accord et prêté des locaux pour l'organisation de réunions. J'ai sollicité les associations Pari Jeunesse et Le forum Jacques Prévert pour bénéficier de leur réseau pour contacter les gens mais très vite mon contact direct avec les habitants s'est avéré être le plus payant. Alors Pari jeunesse a mis à notre disposition ses mini bus pour amener les habitants voir les céramiques à Vallauris au fur et à mesure des cuissons. Le forum Jacques Prévert organisera dans l'hiver des expositions des habitants du quartier. Ces partenaires ne sont pas intervenus sur le contenu du projet.
L'implication des services techniques de la ville dans la pose des carreaux de céramique a contribué à mettre des liens valorisant entre les habitants et la municipalité d'autant que le projet faisait parti d'une réhabilitation plus globale des jardins et espaces extérieurs.
Ange gardien
Un des quatres anges,
qui gardent la mémoire du quartier.
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Astrid : Pour les panneaux tu t'es entretenu avec les habitants. Les extraits sont reproduit sur les panneaux. Comment ces entretiens se sont-ils déroulé ?

Dominique : La médiatisation du projet par la diffusion mensuelle dans le journal communal « Carros infos » a facilité l'approche des gens et tout s'est fait dans la proximité. libérer et faciliter la parole j'avais préparé un questionnaire simple. Tous les matins du mois de Février et Mars 2009 vers 10 heures je me tenais au bas des quatre entrées de l'immeuble où je parlais du projet. Le temps fort était le samedi matin jour de marché dans le quartier qui me permettait de rencontrer les personnes travaillant toute la semaine et que je ne pouvais voir qu'à ce moment-là. Les gens répondaient à mon questionnaire je les prenais en photo ensuite je rentrai à l'atelier je faisais une série de portraits d'eux à partir des photos prises et je retournais dans la semaine leur soumettre et leur faire choisir le portrait qui allait figurer sur le projet reproduit par Renaud Lembo céramiste à Vallauris sur des carreaux de faïence de 30x30cm.
Astrid : Y a-t-il eu des problèmes à reproduire l'image des habitants sur les panneaux ?

Dominique : Le projet a démarré en Novembre 2008. En début d'année 2009, le projet a été validé par les habitants. Il s'agira d'inscrire la mémoire des habitants et faire les portraits des habitants de l'immeuble. J'avais espérer faire le portrait d'un membre de chaque famille. Mon souhait a dépasser toute espérance puisque j'ai réalisé 45 portraits de 37 familles résidentes et j'aurais pu aller encore au-delà car chacun voulait figurer pour la postérité. Certaines familles ne sont pas représentées pour raisons personnelles ou religieuses mais pas par hostilité au projet. De plus, les portraits ne sont fait qu'avec leur accord et je leur ai fait signer à tous un contrat de droit de reproduction de leur image.
Post-portrait
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Les Blés d'Or Panneau 4
Carros : Passage « Blés d'Or » (detail)1
Astrid : Comment as-tu choisi les extraits des questionnaires?

Dominique : Quant aux textes, à partir de leur questionnaire, j'ai pris des phrases simples, courtes, générales, poétiques et ayant un intérêt collectif. J'ai mis bout à bout ces phrases faisant un texte général où chacun reconnaissait ses bouts de phrase anonyme.

Astrid : Après la réalisation et l'installation des carreaux, que peux-tu en résumer ?

Dominique : Plusieurs fêtes ont ponctué les trois mois du projet rajoutant de la convivialité. J'ai offert à chaque habitant son portrait sur papier. J'ai remarqué une certaine fierté de se voir reproduit aux regards de tous. Je me suis attaché à faire valoir une image valorisante d'eux-mêmes. Je me suis attaché à ce qu'ils se reconnaissent et chacun a reconnu chacun. Le samedi matin sur le marché les habitants des autres immeubles ou des autres quartiers me demandaient quand j'interviendrai chez eux. Ce projet a renforcé le fort sentiment d'appartenance. Ils étaient émus de se voir «  pour la vie » comme ils disaient sur les murs de leur immeuble.
L'équipe
"L'équipe" des Blés d'Or à Carros 2
Passage des Blés d'Or
Astrid : En mai tu as fini le projet « Céramicité » à Carros. Le projet s'est déroulé dans le cadre de la réhabilitation du quartier par la municipalité de Carros. On ne voit pas tous les jours l'introduction de l'art contemporain dans des quartiers populaires. Comment est-on arrivé à Carros à ajouter un aspect artistique aux améliorations plutôt techniques ?

Dominique :
Depuis la construction des 1000 logements sociaux en 1970 les différentes municipalités se sont attachées à préserver une certaine qualité d'habitat dans les « HLM ». Les bâtiments ont été repeints et réaménagés plusieurs fois sous la bienveillance de l'ancien maire Pierre Jaboulet. Les étudiants des Beaux arts de Nice avaient reproduit dans les années 80 une immense fresque d'après un dessin de Peynet sur la façade du centre commercial.
Photos :

1 © Stephan Goseberg

2 © Alain Fillit



© 2009 ARTIFICIALIS

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Carros : Passage « Blés d'Or » 1